De l’approche analytique à l’approche systémique des organisations

Les approches organisationnelles traditionnelles se sont construites sur une démarche analytique prônant la décomposition d’une problématique en ses composantes élémentaires. Le bon fonctionnement de chaque composante doit assurer le bon fonctionnement de l’ensemble. Ces approches sont efficaces dans un monde simple et restreint, où le tout est la simple addition des parties.

En revanche, elles trouvent leurs limites dès lors que les composantes interagissent, l’une en impactant d’autres et, souvent, les autres l’impactant en retour, dans des logiques de boucles qualifiées « boucles de rétroaction » en logique systémique. C’est très précisément le cas dans notre Système organisationnel.

Aussi est-il indispensable d’être sensibilisé aux notions élémentaires de la logique systémique qui s’est justement développée pour répondre aux limites de l’approche analytique mise en défaut pour traiter des situations complexes.

Si vous êtes familiers de l’approche systémique, vous pouvez vous rendre directement au chapitre qui illustre les interactions entre les composantes du Système organisationnel. Si vous l’êtes moins, nous vous présentons ci-dessous quelques notions élémentaires. Compte tenu de la nature profondément systémique d’une organisation, n’hésitez pas à compléter ces premières notions ; Internet regorge de contenus extrêmement pertinents et accessibles sur le sujet.

Approche analytique

Approche systémique

Comment ça marche ?
Pour atteindre quel but ?
Se focalise sur une situation (présente), recherche les dysfonctionnements et leurs causes dont la suppression devient l’objectif (logique de résolution de problèmes)Se focalise sur l’obtention d’un but et la recherche des variables sur lesquelles agir pour l’atteindre.
Isole (logique disjonctive) : décompose en composantes élémentaires et les étudie isolément dans une recherche d’exhaustivité.Relie (logique conjonctive) : se concentre sur les interactions. Les composantes et leurs interactions sont décomposées et analysées aux niveaux qui semblent pertinents, sans descendre aux niveaux élémentaires si ce n’est pas utile.
Le plus important est de connaître chaque composanteLe plus important est de connaître la nature et la dynamique des interactions entre les composantes.
Le tout est la simple addition des composantes. Chaque composante peut être traitée de façon dissociée du tout.Le tout est à la fois plus ou moins que l’addition de ses composantes. On ne peut connaître le tout ni les parties sans considérer l’ensemble.
S’appuie sur la précision des détails, les buts sont mal définisS’appuie sur la connaissance des buts, sur la perception globale, les détails sont flous
Recherche les liens de causalité (logique de causalité linéaire)Considère les effets des interactions (logique de causalité circulaire), recherche les invariants.
Présuppose que les conditions sont stables et les évènements prévisibles, reproductibles et réversiblesPrend acte de l’imprévisibilité, de l’irréversibilité des choses et de la multiplicité des interprétations possibles.
La validation des faits se réalise par la preuve expérimentale reproductible dans le cadre d’une théorieL’important n’est pas d’avoir une théorie valide mais de trouver les leviers qui permettent de progresser de façon itérative vers le but.
Modèles précis et détaillés, mais difficilement utilisables dans l’action (exemple : modèles économétriques)Modèles insuffisamment rigoureux pour servir de base de connaissances, mais utilisables dans la décision et l’action.
Approche efficace lorsque les interactions sont linéaires et faiblesApproche efficace lorsque les interactions sont non linéaires et fortes.
Conduit à une action programmée dans son détail

Conduit à une action par objectifs et correction continuelle de la trajectoire.

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Le système

Un système est un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d’un ou plusieurs buts spécifiques.

Les interactions

La base de l’approche systémique est de rechercher à comprendre les dynamiques d’interaction entre les composantes du système et l’effet final global qui en résulte : comment la composante A agit-elle sur la composante B qui agit elle-même sur la composante C ? Quel est l’effet final produit ?

Le principe de pertinence est ici essentiel : les seules interactions à considérer sont celles qui contribuent ou font obstacle à l’atteinte du but.

Les boucles de rétroaction

Lorsque A agit sur B, B peut agir en retour sur A qui, de ce fait agit de nouveau sur B et ainsi de suite. Ce concept central de la systémique, dénommé « boucle de rétroaction », se dit « cercle vertueux (ou vicieux selon l’effet produit) » dans le langage commun.

Boucle de rétroaction positive

Se dit des boucles de rétroaction qui amplifient le phénomène (effet « boule de neige »). Une boucle de rétroaction positive éloigne le système de son état d’origine.

Attention : le terme « positive » ne fait en rien référence à un effet bénéfique. La plupart des catastrophes sont causées par des boucles de rétroaction positive !

Boucle de rétroaction négative

Se dit des boucles de rétroaction qui tendent à ramener le système à son état initial (effet stabilisateur, régulateur).

Attention : le terme « négative » ne fait en rien référence à un effet néfaste. Au contraire, ce sont les boucles de rétroaction négative qui permettent de garder le contrôle … et d’éviter les catastrophes !

Boucle de rétroaction ago-antagonistes

La complexité serait trop simple sans elles ! Il s’agit de boucles qui sont parfois positives, parfois négatives selon les circonstances (effets de seuil par exemple), parfois les deux simultanément.

Causalité circulaire

Plus couramment connu sous la question « qui de l’œuf ou la poule … ? », cette approche par l’analyse globale des boucles de rétroaction enlève cette pierre d’achoppement sur laquelle butent les approches analytiques pour essayer de distinguer la cause et la conséquence. 

Frontière et granularité

Un enjeu permanent : délimiter l’étendue du système étudié et le niveau de détail pour le décomposer en sous-systèmes. Le principe de pertinence doit impérativement être appliqué ici et bannir toute recherche d’exhaustivité. Une démarche itérative permettra de s’ajuster progressivement.

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Les interactions entre les composantes

Chaque composante du Système organisationnel entretient des liens d’interactions et d’interdépendances avec les autres. L’évolution d’une composante influe sur les autres composantes. Cette caractéristique explique la nature systémique de l’organisation. Illustrons succinctement ces interdépendances et interactions.

Buts & Objectifs <–> Responsabilités & Structures

Les Buts & Objectifs, et plus particulièrement les visions et priorités stratégiques, influent sur la structuration des responsabilités : découpage en segments d’activité stratégique, en business units par produit, marché ou territoire, en fonctions. Un changement stratégique est souvent accompagné de changements d’organigrammes.

Réciproquement, les équilibres de pouvoirs entre les structures d’une organisation influent largement sur l’élaboration et l’exécution de la stratégie ; par exemple, une entreprise qui s’est historiquement structurée autour de son excellence technique et industrielle sera spontanément moins encline à développer des activités de service.

Buts & Objectifs <–> Processus&Outils et Métiers & Compétences

Les Buts & Objectifs conditionnent les Processus et les Compétences nécessaires. Quelles activités doivent être réalisées pour atteindre les Buts & Objectifs ? Quelles compétences sont nécessaires pour réaliser ces activités ? Les concepts de chaînes de valeur, de processus orientés clients et de compétences stratégiques illustrent ce cas. Réciproquement, les processus et les savoirs maîtrisés ou absents orientent, voire déterminent, les Buts & Objectifs.

Buts & Objectifs <–> Culture & Comportements

Les Buts & Objectifs conditionnent la Culture & les Comportements privilégiés par l’organisation. Par exemple, les entreprises du luxe et celles du low cost génèrent des cultures et comportements différents, voire opposés.

Réciproquement, la composante Culture & Comportements est porteuse de la représentation collective que l’entreprise se fait du monde et de son environnement compétitif, de sa propension ou son aversion au risque, de sa gestion des dilemmes, dont le dilemme court terme/long terme. Toutes ces représentations mentales influent fortement sur l’établissement des visions et objectifs stratégiques. 

Processus & Outils <–> Métiers & Compétences

Il est nécessaire de disposer des compétences adéquates pour opérer les processus. De même, il est nécessaire de disposer des bonnes compétences pour concevoir et optimiser les processus permettant d’atteindre les buts et objectifs communs.

Processus & Outils <–> Culture & Comportements

Processus & Outils et Culture & Comportements nécessitent d’être alignés. Ainsi des processus « haute sécurité » requièrent une culture de discipline, alors que des processus d’innovation requièrent une culture de disruption. Réciproquement, il est difficile de concevoir et d’opérer des processus qui divergent significativement de la culture dominante.

Processus & Outils <–> Responsabilités & Structures

La difficulté à articuler les responsabilités entre structures organisationnelles et propriétaires/responsables de processus (process owner) illustre parfaitement cette interrelation.

Métiers & Compétences <–> Culture & Comportements

Cette interrelation s’illustre souvent au travers de la notion de « culture Métier », qui est à l’origine des différences culturelles au sein de la culture globale de l’entreprise. Par exemple, les démarches « Orientation Client » ne trouvent pas le même écho chez les équipes commerciales, les comptables ou les ingénieurs en R&D.

Métiers & Compétences <–> Responsabilités & Structures

La notion de Métier (R&D, production, marketing, ventes…) est fréquemment déterminante dans la façon de structurer les entreprises en divisions fonctionnelles. La difficulté à positionner dans les organigrammes les métiers « transverses », responsables d’équipes transverses et multidisciplinaires, et la multiplicité des réponses apportées illustrent l’interrelation entre ces deux composantes.

Culture & Comportements <–> Responsabilités & Structures

Les projets d’organisation qui modifient les processus décisionnels (délégation, subsidiarité, responsabilisation/empowerment, leadership partagé, entreprise libérée, holacratie…) démontrent la force de l’interrelation entre culture de l’entreprise et la structuration des responsabilités et pouvoirs.

L’Environnement général <–> Système organisationnel

Il ne faut pas oublier les interactions entre l’Environnement général et le Système organisationnel.

L’Environnement général est en interrelation profonde avec les buts et objectifs de l’entreprise. En effet, cette dernière repose en particulier sur une analyse, une interprétation de cet environnement.

Il convient de regarder également pour chacune des composantes ses interactions significatives avec l’Environnement général, au-delà des aspects portés au travers de la stratégie. En effet, une stratégie n’est pas nécessairement porteuse de l’ensemble des considérations d’environnement général relative aux différentes composantes du Système organisationnel. Par ailleurs, une stratégie peut être amenée à changer, l’organisation devant être préparée à absorber ces changements. Par exemple, la montée en compétence sur le digital est devenue un impératif, quelle que soit la stratégie de l’entreprise.

Enfin, certaines organisations influent sur l’Environnement général, par exemple, les organisations non gouvernementales avec leurs stratégies d’influence, Apple avec ses ruptures technologiques (ordinateur personnel, smartphone et applications).

Les individus <–> Système organisationnel

Les individus constituent le cœur du système organisationnel. Toutefois, l’organisateur ne s’occupe pas de chaque personne, de chaque personnalité. Il laisse ce champ aux spécialistes des ressources humaines. L’organisateur s’intéresse aux postes, rôles ou fonctions « anonymes », au niveau de populations.

Pour autant, les personnes et personnalités ont une influence sur le fonctionnement des organisations et l’organisateur ne peut et ne doit l’ignorer. La personnalité du dirigeant influe indiscutablement sur les formes et fonctionnement de l’organisation : pas d’« entreprise libérée » sans patron « libérateur ». Et les employés influent sur la mise en œuvre des projets d’organisation. En effet, une organisation n’est pas toujours le reflet des organigrammes et des pouvoirs officiels.

A l’inverse, comme pour tout groupe social, le système organisationnel influe plus ou moins profondément sur le comportement des individus.

Notre exemple montre la difficulté à illustrer les phénomènes de boucles entre les composantes. Il est à l’image de la complexité que tout organisateur rencontre dans la vie réelle. Pour autant, cette complexité ne doit pas être le prétexte pour baisser les bras et s’en tenir aux approches analytiques, qui deviennent inopérantes passé un seuil d’une complexité qu’on ne peut éliminer. Ce constat met en lumière le rôle essentiel de l’organisateur : il maîtrise ces approches systémiques, et il possède l’expérience pour les appliquer avec discernement et talent.

@Afope